Non ! Vos collaborateurs ne sont pas réfractaires au changement.

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10 septembre 2024

Ceci est le texte de ma conférence TEDx donnée aux Arts et Métiers de Bordeaux le 23 Mai 2024. Je le partage avec plaisir pour qu’il nourrisse votre propre vision des transformations. Retrouvez également la vidéo en fin d’article.

Merveilleusement adaptables ?

Du premier cri de notre naissance au dernier souffle de notre vie, nous sommes en mouvement :

  • Notre corps se transforme indéniablement,
  • Nos capacités cognitives se déploient grâce aux expériences et aux apprentissages
  • Notre paysage émotionnel se colore de toutes les rencontres et les liens que nous tissons.

Certaines périodes sont plus sensibles que d’autres :

  • Age de raison,
  • Adolescence,
  • Entrée dans la vie de jeune adulte,
  • Crise du milieu de vie,
  • Ménopause (andropause),
  • Retraite,
  • Grand âge,

Nous vivons de multiples transitions physiologiques, psychologiques et/ou sociales …

… et nous les accueillons avec plus ou moins de grâce.

A chaque fois, nous apprenons à faire autrement …

… et nous faisons avec.

Donc j’ai une très bonne nouvelle pour vous :

Nous sommes merveilleusement adaptables !

Toujours plus vite !

Récemment j’ai rencontré Elisa, membre d’un CODIR que j’accompagne depuis plusieurs mois dans une transformation profonde de l’organisation du travail. Je lui demande de ses nouvelles : « Ça va bien, nous progressons, -17% d’impayés en trois mois, … mais c’est dingue comme les collaborateurs sont réfractaires au changement ».

Puis elle enchaine en me disant : « Ils ont du mal à mettre en place les nouvelles procédures, ils posent 20 fois les mêmes questions, le rythme de travail s’est ralenti, bon tu vois ! »

Comme Elisa et le Comité de Direction, ses collaborateurs ont besoin de temps :

  • Du temps pour appréhender cette nouvelle réalité,
  • Du temps pour transformer leur geste professionnel,

Ils se sentent peut-être vulnérables, … notamment ceux qui ont toujours été très performants.

Elisa aussi était très inquiète dans notre travail préparatoire, notamment au sujet des interfaces entre services et de la communication du projet auprès des équipes.

Alors je lui demande :

  • A-t-on avis qu’est-ce qui est le plus difficile pour ton équipe ?
  • Changer ses habitudes.

L’œil de l’esprit (1), la voie compassionnelle

Dans cette situation Elisa a deux options :

Elle peut choisir consciemment l’empathie qui rend possible le lien et l’apprentissage pour son équipe, …

ou elle se laisse dominer par l’agacement ou la peur qui l’empêchent d’entendre les besoins humains derrière les questions et les hésitations de l’équipe.

Le psychologue Georges Kohlrieser appelle cette alternative l’œil de l’esprit.

Lorsqu’il assistait les forces de l’ordre new-yorkaises en négociations avec des preneurs d’otages, il a constaté et expérimenté comment la manière dont nous regardons un individu ou une situation conditionne notre capacité d’action et d’influence.

Elisa a ce choix, comme tous les dirigeants et les managers dans le changement.

  • Les pilotes de la transformation parlent souvent à partir de leur propre peur (gérer les interfaces, la communication). C’est normal … ils sont les premiers à devoir changer leurs pratiques.
    • Ils doivent même – par leur attitude – modéliser la capacité de changer,
    • donc il faut qu’ils se sentent assez solides pour affronter leur propre peur et celle des équipes.
  • Et finalement de quoi avons-nous peur majoritairement dans le changement ?
  • De l’incertitude inhérente au moment de bascule entre ce que nous connaissons et que nous devons abandonner … et ce qui va advenir et qui nous est inconnu, puisque non expérimenté : « la transition ».

Et Elisa, … elle aimerait que ça passe vite ce moment-là !

Comme souvent les managers ou les dirigeants que j’accompagne.

Raconter l’histoire sans raconter d’histoires …

Mettre en récit la transformation est un des outils qui favorise la transition.

Il permet de comprendre le contexte et donc d’intégrer le besoin de changement pour transiter vers un nouveau modèle.

  • Modèle économique d’une organisation ou modèle de vie d’un individu d’ailleurs.

Mais le scénario initial dans les organisations est souvent plutôt faible.

  • Très centré sur les données économiques brutes

  • Peu incarné, donc ressenti comme déshumanisé,

  • Construit par quelques-uns,

  • Sans lien avec la réalité qui motive les individus au travail.

Penser que « les collaborateurs sont réfractaires » est plus rassurant, moins confrontant que de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ils n’adhèrent pas immédiatement au changement.

Changement et transformation : éviter le balancier !

Laissez-moi clarifier pour vous deux termes souvent employés indifféremment, mais qui ne reflètent pas la même réalité : changement et transformation.

  • Le changement touche aux éléments structurels de l’organisation : la stratégie, l’organigramme, l’organisation des bureaux, de l’usine…
  • La transformation touche à la culture : les savoirs, les techniques, la manière dont on fait le métier mais aussi les croyances, les valeurs, les comportements autorisés ou interdits, les façons de coopérer, de se parler, …

A chaque fois qu’un dirigeant ou un manager veut changer l’organisation par décrets, sans remettre en question – ou à minima interroger – la culture en place, les collaborateurs ont le sentiment de faire du neuf (le changement) avec du vieux (sans transformation des pratiques)!

Donc ce qu’on appelle la résistance au changement, c’est cette possible sensation d’être instrumentalisé ou à minima déconsidéré dans notre compétence à dire comment faire et organiser le travail différemment, selon un nouvel objectif commun.

Étancher les soifs fondamentales dans la transformation.

Or en analyse transactionnelle, on reconnait aux individus trois soifs (2) qui correspondent à trois besoins fondamentaux : les soifs de stimulation, de reconnaissance et de structure.

Nourrir chacune de ces soifs permet de faire émerger les transformations nécessaires de la culture, pour permettre le changement souhaité.

Tout d’abord, nourrir la soif de stimulation des individus va limiter l’inconfort ressenti à l’annonce du changement.

Quatre éléments sont essentiels à la stimulation :

  • La sincérité du récit fondateur : on ne raconte pas des histoires, mais une histoire au présent pour le futur.
  • L’authenticité du messager du changement : est-ce que le pilote croit réellement ce qu’il me dit ?
  • Le temps d’assimilation pour que chaque personne concernée puisse penser individuellement ce qui va changer : que va-t-il m’arriver ?
  • Des espaces collectifs pour penser ensemble, se regrouper, faire corps, se projeter dans les changements.

Ces éléments sont autant de stimulations pour les individus, autant de zones de contact et d’approche de la transformation.

Ensuite, nourrir la soif de reconnaissance pour donner confiance et responsabiliser chacun au regard de sa capacité d’action

  • Celui qui sait comment changer, c’est celui qui est au plus près du sujet (clinique du travail), celui qui assume la friction avec le réel.
  • Si le leader doit donner le cadre du changement, les équipes doivent être sollicitées pour imaginer comment transformer leur travail, leurs interactions pour répondre à ce nouveau cadre.
  • Cela n’empêche pas de challenger chacun sur ses certitudes,
    • mais la mise en commun des visions et des savoirs sécurise les décisions et pérennise la mise en œuvre. Cela évite de laisser perdurer dans l’organisation des pratiques inadaptées aux nouvelles conditions de travail.
  • Quand je fais appel aux compétences, au professionnalisme, aux savoir-faire des individus dans le travail et à la puissance du collectif pour résoudre des problèmes j’envoie un signe puissant de reconnaissance positive dans la capacité des personnes et des groupes à changer. Je donne de l’énergie.

Puis pour préserver cette énergie et calmer les peurs éventuelles, structurer l’activité et le temps

Transformer l’organisation pour favoriser le changement suppose des apprentissages : nouveaux gestes professionnels, nouvelles procédures, nouvelles manières de travailler ensemble …

Je dois donc assumer pendant un certain temps d’assurer l’activité principale (par exemple faire des pièces plastiques) et de travailler à mettre en œuvre les conditions de la transformation (utiliser des matériaux biosourcés pour répondre aux attentes environnementales, ce qui suppose de changer notamment mes machines et mon organisation dans l’usine).
Il faut donc avoir assez de temps, un temps et des activités structurées pour ne pas me disperser.

Les personnes et les collectifs se posent alors des questions comme :

  • Comment devons-nous travailler maintenant ?
  • Quelles sont nos compétences utiles aujourd’hui ?Que devons-nous arrêter de faire ou favoriser maintenant ?
  • Quel collectif de travail devons-nous être pour endosser ce changement ?

Structurer le temps de manière explicite dans ce type de projet nourrit le besoin de structure des individus.

  • Nous avançons par étape en partageant les enjeux.
  • Nous anticipons le plus possible les aléas.
  • Nous pouvons parfois ralentir si besoin ou accélérer si l’énergie est là.

Dans ces transformations-là, j’écoute battre le cœur de chacun et le pouls du collectif.

Nourrir les soifs des personnes et du collectif favorise la transformation de la culture pour accueillir les changements.

Dialogue et courage managérial

Se transformer suppose donc du temps, du dialogue, beaucoup de confiance mutuelle et parfois du lâcher-prise.

En prenant soin de faire ce travail structuré et en coopération avec les collaborateurs, il est possible de construire des organisations qui sortent des crises perpétuelles pour entrer dans un mouvement plus fluide, un mouvement moins éprouvant pour les équipes et leurs leaders, un mouvement de vie plutôt que de survie.

En expérimentant la puissance d’une vision augmentée des enjeux à laquelle l’ensemble des collaborateurs sont invités à participer là où ils sont compétents, les dirigeants apprennent aussi à construire des modes de gouvernance qui favorisent la transformation progressive de la culture, pour permettre les changements nécessaires à la survie ou la bonne marche de l’organisation.

  • Dialoguer « sur le travail comme il se fait » à tous les niveaux de l’organisation est préalable à générer un mouvement fluide d’évolution plutôt qu’un développement par crises.
  • Dialoguer « sur le travail comme il se fait » engage la responsabilité de chacun dans le succès collectif. Car être sollicité et entendu sur son domaine de compétence génère tout simplement de l’engagement.

Mon métier n’est donc pas l’accompagnement du changement mais le développement d’un « art de la transition » dans les organisations et pour les individus au travail.

Car je suis convaincue que les organisations qui se développent sont pilotées par une vertu collectivement partagée, le courage :

  • Courage de renoncer à ce qui entrave la créativité humaine (l’immobilisme)
  • Courage d’aller vers ce qui libèrera les potentiels individuels et collectifs en acceptant l’impermanence des solutions.

Et accepter de voyager sans connaître tout à fait la destination et la fin de l’épopée, c’est exactement la question fondamentale de la vie humaine !



(1) - George Kohlrieser - Négociations sensibles - Pearson - 2007.
En particulier le chapitre 2, "L'oeil de l'esprit ou comment (re)trouver la liberté?"
(2) - Eric Berne - Analyse transactionnelle et psychothérapie - Petite Bibliothèque Payot - 1971.
En particulier le chapitre VIII sur les échanges sociaux.
Replay de la conférence du 23 Mai 2024 – TEDx Arts et métiers Bordeaux.