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13 novembre 2015
Depuis plusieurs années, je dispense des formations aux outils de la créativité auprès de managers dans les entreprises. La demande de mes clients est souvent posée en premier lieu comme la nécessité d’alimenter les structures dédiées à l’innovation dans leur organisation (équipes R&D, marketing, cellules d’innovation,…). L’enjeu est de faire naître des idées nouvelles commercialisables sur leurs marchés.
Dans les discussions préliminaires à l’élaboration du programme apparaissent très vite l’injonction de l’innovation de rupture et la sensation d’une urgence à produire de nouveaux contenus édifiants qui éviteront le déclin des modèles pensés comme anciens.
J’observe donc que l’innovation au lieu de représenter une voie vers le plaisir et la créativité est devenue une source d’angoisse pour certains managers. Cela me renvoie au récent ouvrage de Vincent Gaulejac et Fabienne Hannique, « le capitalisme paradoxant », ce système qui selon ses auteurs « rend fou ». « Vite innovons », ne serait-elle pas la nouvelle injonction paradoxale du capitalisme du 21ème siècle ?
Je m’explique.
Développer la créativité pour favoriser l’innovation dans une organisation suppose de structurer la démarche, de la maturation des idées à leur émergence, pour conduire à leur mise en œuvre dans un projet, qui aboutira (ou non) à une mise sur le marché.
Or le processus de créativité d’un individu ou d’un groupe se compose de plusieurs phases :
- L’exploration (pour que les individus développent leur curiosité de manière élargie autour de leur sujet de prédilection),
- La création d’une culture sur le sujet à aborder (pour ne pas réinventer la roue)
- Un temps d’incubation pour les individus (maturer, jouer avec les idées, entrainer son esprit à tordre le sens, à sortir de ses sentiers battus)
- La proposition d’un processus construit de production d’idées pour focaliser sur le sujet à traiter (pour mettre en synergie l’ensemble des producteurs)
- puis un système construit de vérification/validation des idées produites pour choisir celles qui pourront à un moment donné se traduire en projets nouveaux au regard des enjeux et de la stratégie de l’entreprise.
Dans ces conditions, le partage des axes stratégiques, l’espace et le temps dédiés, l’ouverture vers le monde extérieur sont nécessaires à l’émergence de nouvelles idées favorables au développement de l’entreprise. Autant d’éléments qui parfois n’appartiennent ni à la culture, ni à la structure aux entreprises qui se lancent dans ce défi. Alors pour ne pas perdre de temps, certaines (qui ont les moyens) décident de créer des incubateurs qui permettront à leurs intrapreneurs ou à de jeunes pousses de produire la rupture que la maison mère n’est pas en mesure de concevoir.
Mais pour toutes les autres, celles qui font le choix d’implanter in vivo cette nouvelle approche de leur lien à leur écosystème, s’engage un travail patient de développement d’une nouvelle posture à tous les échelons de l’organisation.
Professionnaliser la veille pour faciliter l’ouverture et la curiosité présuppose de revoir la position prise sur qui peut – doit – est autorisé à sortir de l’entreprise pour aller sur les salons, dans les colloques, les organismes professionnels pour rencontrer le marché.
Mettre en place des espaces de créativité pour alimenter les projets nécessite de former une partie des managers, de leur permettre de comprendre les processus facilitant, leur donner des outils et les amener à cette forme de dialogue confrontant, ferme et réjouissant qui est celui du monde de la rupture avec les modalités classiques de développement.
Enfin, la posture hiérarchique des individus dans l’entreprise est elle-même confrontée par l’exercice de la créativité. Car même s’il est encadré par un processus structurant, il fait appel chez les individus à l’enfant libre, cette partie de nous qui développe la spontanéité et le jeu. Sa sollicitation doit être favorisée par un dialogue hiérarchique sain qui favorise la coopération, l’expression libre des idées dans les phases dédiées à l’émergence et la prise de décision et la mise à disposition des moyens humains et matériels nécessaires aux réalisations dans les phases de mise en œuvre.
Dans ces conditions, le processus de créativité et ses outils associés deviennent non seulement un moyen de produire des idées nouvelles en quantité suffisante pour produire celles qui deviendront des projets moteurs de l’entreprise, mais également un mode de résolution de problèmes efficace et partagé.