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11 avril 2016
Non, ce n’est pas une nouvelle série de télé réalité qui adresserait le métier de manager d’équipe! C’est le stratagème que j’ai trouvé pour capter votre attention et vous parler d’un sujet qui m’interroge et me tient à cœur. Je l’ai à nouveau croisé récemment dans mes pérégrinations professionnelles : quel est le geste spécifique du manager au-delà de son métier propre?
J’ai assisté à une conférence donnée par le philosophe Raphael Enthoven dans le cadre d’une convention d’entreprise sur le thème de la confiance et du risque. Brillant, fichtrement brillant avec quelques belles fulgurances sur le sujet et des références à la philosophie mais aussi la littérature et l’actualité. Le tout avec une aisance qui fait rêver tout orateur.
Alors pourquoi un vague malaise au sortir de ce superbe exposé ?
En pensée je reviens sur son raisonnement emprunt de pensée Nietzschéenne.
Tout d’abord, la confiance ne se donne pas. Elle se décrète. Elle est autoproclamée. On la décide pour soi et elle est en soi. Comme la joie, elle n’est pas consubstantielle de notre rapport aux autres et au monde. Elle est.
Ensuite, le risque est l’écosystème de la confiance (comme le doute). La confiance n’existe pas sans la conscience du risque. Sinon, ce serait de l’inconscience.
Donc, je décrète d’avoir confiance (d’être en confiance) en connaissance des risques et des incertitudes qui m’entourent. La confiance est donc un acte de foi profond en moi.
Elle présuppose une force de caractère certaine, vous en conviendrez.
« Doit-on en conclure que la confiance, on l’a ou pas » ? demande un auditeur.
« En quelque sorte oui » répond le philosophe.
Et je pense que c’est sur cela que ma propre pensée tourne en boucle.
« Alors quoi, il y aurait ceux qui pourraient être confiants et les autres ? Il y aurait quelque chose de l’ordre de l’inné qui exclurait une partie de l’humanité du plaisir de la confiance ?» s’insurge mon rebelle intérieur.
Bien entendu ce serait réduire la pensée de Nietzsche (et d’Enthoven!) que de le conclure aussi rapidement. Et je vois bien également autour de moi, très proche de moi, des êtres de confiance absolue et inébranlable, … moi qui cultive le doute par hygiène intellectuelle.
Pourtant je poursuis, car ce qui m’intéresse en l’occurrence ici, c’est de mettre en parallèle ce concept de confiance inaugurale avec celui de résilience dans le champ du travail.
Au cours de ce que l’on nomme pudiquement des « accidents de carrière », un individu peut être conduit à perdre toute confiance dans sa capacité à renouer avec le travail de façon saine et sereine. La perte de confiance conduit à oublier les gestes professionnels (quels qu’ils soient intellectuels ou manuels), à être en retrait des relations avec les pairs et en souffrance face à une hiérarchie avec laquelle on a perdu les clefs du dialogue.
Restituer la confiance dans ce cadre est fondamental pour que l’individu puisse reprendre sa place dans le collectif de travail et surmonter l’épreuve vécue. Plusieurs éléments de la résilience peuvent aider à cette remise en selle de l’individu, mais un des éléments clefs est la reconquête de l’estime de soi.
C’est à cet endroit que la psychologie et la sociologie peuvent apporter à la réflexion philosophique. Si la confiance est inaugurale, elle peut aussi se reconquérir. Dans le travail, les pairs et le manager ont un rôle à jouer dans ce retour de l’estime de soi.
Et pour moi, les philosophes grecs nous orientent vers une première piste sur l’attitude à tenir au retour d’un collègue en difficulté. Philia, c’est le nom qu’Aristote[1] donne à l’affection que nous portons à un être pour ce qu’il est et non pour ce qu’il apporte au groupe. C’est le moins qui puisse être fait – si cela nous est possible – pour réintégrer l’individu dans le groupe en évitant le jugement et en donnant à la personne la possibilité d’être accueillie et perçue comme membre de l’équipe. La confiance peut alors à nouveau émerger en valorisant l’individu avant le geste professionnel.
Le rôle du manager est aussi essentiel dans cette reprise de contact avec le réel professionnel qui a pu être douloureux.
« L’activité de travail n’est pas une praxis muette que le management aurait pour tache de déclencher et d’optimiser grâce à un certain nombre de stimuli bien choisis » nous dit le sociologue Jean Pierre Le Goff[2]. Chaque être ayant souffert au travail et devant reprendre confiance pour reprendre sa tâche et sa place conjuguera donc à nouveau son histoire dans un schéma unique et propre. Aucune recette, aucune méthode n’existe qui puissent donner au manager les outils de l’accompagnement de cette personne. C’est dans la compréhension des phénomènes humains au travail et dans l’expérience des multiples liens engagés auprès de ses collaborateurs qu’il pourra trouver le bon niveau d’écoute et de respect pour permettre à l’autre de revenir à la confiance dans l’accomplissement du travail.
L’acte managérial dans ce cas n’est pas tracé, connu, identifiable, il sera à la mesure de chaque relation manager/managé. Dans ce réglage fin du lien à l’autre en situation de travail, le manager pourra (ou non) devenir tuteur de résilience pour un collaborateur en quête de « soi dans le travail ».
[1] Ethique à Nicomaque
[2] Les illusions du management, pour le retour du bon sens.