Retour à la page précédente
6 avril 2020
Nous sommes tous soumis au même régime de sortie :
- le moins souvent et le moins longtemps possible,
- pour les courses indispensables,
- pour la pharmacie ou les soins,
- pour acheter du tabac,
- pour faire de l’exercice physique à 1 km de chez soi,
- pour faire une promenade pendant maximum une heure, …
… avec quelques interprétations possibles selon le tempérament de chacun.
Sujet inépuisable de discussion en ce moment !
L’autorisation de sortie n’est pas une vaine procédure. Nous déclarons que nous sortons et par là même, nous nous engageons dans l’acte de sortir (ou pas) qui prend des allures de choix citoyen. Quand les autorisations de sortir sont aussi limitées, nous découvrons le sens réel du confinement et l’intérêt de sortir … ou pas.
Bien sûr, les raisons de sortir officielles ne couvrent pas tous nos besoins physiologiques et psychologiques ; loin s’en faut.
Sortir, c’était rencontrer le monde, faire le choix de s’exposer, prendre la liberté d’aller ou bon nous semble, nager en mer, courir dans un parc, retrouver sa famille, aller au cinéma, au théâtre, manger un bon gâteau dans une pâtisserie, boire un bon vin avec des amis, … vous pouvez allonger la liste à votre guise.
Mais que se passe-t-il aujourd’hui, quand nous sortons ?
D’abord nous voyons majoritairement des personnes masquées (mais où ont-ils eu tous ces masques ?!) ou emmitouflées dans des écharpes. Elles se dépêchent d’avancer avec leurs sacs à provisions, leurs chariots de course, parfois gantées.
Nous observons aussi des queues devant les magasins. Pas la queue du samedi matin à la boucherie. Non ! Une vraie bonne queue de période noire ; « comme en 40 », disent les plus anciens. Des queues où on se parle peu, à un mètre ou plus de distance.
Les vitrines sont restées figées, alors que la belle saison arrive.
Les cloches de Pâques ne passeront pas cette année dans les chocolateries…
J’observe aussi une forme de repos, de tranquillité, de continuité.
Les bosquets de roses de la place Goujon sont en fleurs et embaument comme chaque année. L’olivier du balcon entre en floraison et les oiseaux chantent dans le parc de la résidence. Les enfants jouent (peut-être avec plus de gravité) dans la cour. Samedi, nous avons même pris un verre avec des copains sur le net. Et c’était une expérience certes nouvelle, mais le plaisir de se voir, de se parler, de se raconter était le même, joyeux, tendre et sincère.
Je peux donc encore sortir voir le monde, avec d’autres lunettes, d’autres sens en alerte, mais dans une forme de contemplation nouvelle de ce qui perdure et compte vraiment. Je peux alors rêver aussi à ma prochaine grande sortie dans le monde. Celle où personne n’aura à se justifier, ou personne n’aura peur, où nous aurons surmonté l’épidémie.
Ce sera tôt le matin, il fera encore un peu frais.
Je monterai sur le plateau des Glières rendre hommage à la beauté sauvage des lieux, sur le chemin du refuge de la Spée.
J’imagine l’effort à produire pour retrouver un usage raisonné de mon corps ankylosé. J’imagine la marche, l’espace de méditation dans le silence du matin.
Je viens patiemment à la rencontre des maquisards, fantômes éternels de ces lieux.
Je goûte le plaisir de retrouver la nature … de vivre en liberté.