Retour à la page précédente
20 janvier 2014
Nous croisons depuis l’enfance des groupes constitués : notre famille, le club de foot ou l’école de danse, les mouvements de jeunesse, puis le lycée, les écoles de formation, des entreprises….
Dans certains de ces groupes nous avons appris à connaître une figure tutélaire disparue, lointaine et parfois mystérieuse mais dont l’étoile continue de briller au firmament des héros du groupe. Un grand père réfractaire mort en 1917, une grand-mère partie travailler en ville à 16 ans, un entraineur, ancien sportif de haut niveau qui a donné naissance au club, des dirigeants qui ont su avoir une vision originale et anticipatrice et assez de passion pour positionner une entreprise, une marque et lui donner du poids sur son marché.
Tous ces individus du passé aujourd’hui disparus – au même titre que nos éducateurs du présent (parents, professeurs, maîtres, encadrants) – nous ont aidé à forger notre rapport au monde, mais aussi à la décision et à l’autorité. Certains nous ont permis d’oser en nous inspirant, d’autres par leur puissante stature ont écrasé nos rêves de leur présence fantomatique.
Ainsi, individuellement nous intégrons et nous prenons part à la construction de l’imaginaire collectif de chaque groupe que nous traversons (pour peu que nous y restions un peu pour créer des liens).
Mythologie personnelle et mythe de la création
Il me semble que ce phénomène est également à l’œuvre pour tout individu qui décide de créer une entreprise (un groupe constitué). Mais dans ce cas, il prend une part active à la création des mythes futurs du groupe. Une de mes hypothèses de travail sur la création d’entreprise réside dans le fait que le créateur importe dans l’organisation qu’il crée sa propre mythologie.
En interviewant des dirigeants et en observant leurs histoires de vie, il est possible de faire le lien entre la mythologie personnelle (le panthéon de nos héros) et les valeurs, les modèles économiques revendiqués dans l’entreprise. Non que ces valeurs ou modèles soient plaquées comme les dix commandements dans l’organisation, mais parce qu’ils se retrouvent dans les choix stratégiques, la forme des relations avec les collaborateurs, les actionnaires, les clients, les fournisseurs, parce qu’ils imprègnent la définition des règles de vie, de travail, de prise de décision de l’organisation. Ce sont les prémices de ce que j’appelle l’empreinte identitaire du Dirigeant, les traces de son rapport au monde.
Ainsi, ce chef d’entreprise qui a placé l’innovation au cœur de son activité depuis les années soixante raconte avec passion comment il fut frappé, à l’école primaire, par le récit de la vie de Bernard Palissy. Ce potier et verrier autodidacte du 16ème siècle mettra au point l’émail blanc en cherchant à percer les secrets de la porcelaine chinoise. Ce qui frappa le petit garçon de l’époque c’était la pugnacité de cet artisan qui ira jusqu’à brûler son plancher pour alimenter ses fours alors qu’il n’a plus les moyens d’acheter de combustible. C’est ce goût de chercher et de mettre au point que l’on retrouve dans son entreprise qui multiplie les brevets et reprend chaque fois son souffle sur le marché par le biais de l’innovation.
Le poids de l’autorité acquise dans le modèle de management
Il n’est pas rare non plus dans les interviews de pouvoir faire le lien entre des pratiques familiales autour de la décision et de l’autorité et le mode de management développé dans l’organisation (décision solitaire ou collégiale, organisation pyramidale ou en unités autonomes).
La définition du modèle managérial est d’autant plus compliquée pour des enfants, repreneurs d’activité de leurs parents. Parfois, se pose en effet la question de la loyauté familiale dans le développement d’un modèle de décision et de management propres aux successeurs. Car c’est à la fois le deuil des pratiques managériales du groupe, mais aussi d’une certaine façon celui de pratiques familiales qui doit être réalisé. Comment faire ce deuil simplement et sainement pour développer des modèles de management adaptés aux évolutions du business model de l’entreprise et à celles de l’environnement ? Comment passer à un modèle de management différent dans une organisation où les règles ont été façonnées par vos propres parents ?
Il ne suffit pas d’avoir grandi. Il faut s’en donner la permission et créer des conditions favorables (protectrices) pour soi et l’organisation pour que le changement soit compris, accepté et intégré.
Observer le marché, la réalité de l’environnement de l’entreprise et ses attentes, être attentifs aux besoins internes d’accompagnement du changement, ici et maintenant, en apportant une information pertinente sont autant de moyens pour les « enfants de … » d’inscrire une empreinte qui leur soit propre dans l’entreprise qui devient progressivement la leur.
Travailler ses influences pour atteindre à l’autonomie
Il n’y a pas de déterminisme et les individus sont libres de prendre leur autonomie aux regards des modèles, pour peu qu’ils le souhaitent et aient conscience de leurs influences. La diversité des rencontres avec ces héros réels ou fictifs de nos planètes personnelles nous aident en cela à conquérir notre place et à élaborer une vision du monde personnelle.
C’est bien de cela dont il s’agit dans la création d’entreprise. Comment l’individu prend conscience de ce qu’il emporte avec lui de ce qu’il est, lorsqu’il joue la partition de son rôle social de Dirigeant ? Et comment cette prise de conscience peut-elle être mise au service de l’entreprise qu’il a créé pour son propre bénéfice, celui de ses collaborateurs, de ses partenaires et du marché?